O.G.M., MALBOUFFE ET PRODUCTIVISME

" Je te vends la graine, tu m'achètes le désherbant et si t'es malade, le médicament qui va avec…"



Concernant les OGM, on nous parle de l'Homme, de sa nourriture et de sa santé. Mais les recherches en génie génétique ont eu comme principal objectif d'agir sur le produit - une pomme d'un rouge achetable, une tomate (aux gènes de scorpion ! - cf. : " Main basse sur les gènes, ou les aliments mutants ", diffusée sur Arte le 28/09/2 000) qui puisse résister au transport, des fruits et légumes mûrissant dans des environnements hostiles (c'est la célèbre " fraise-aux-gènes-de-saumon "…), des récoltes plus rapides (donc plus nombreuses !) et, nec plus ultra, des pommes de terre n'absorbant plus l'huile de friture !!! Tout cela fleure bon le progrès et on se prend à rêver d'éradiquer certains maux dont souffre l'humanité. Hélas ! les choses prennent une toute autre tournure lorsqu'on analyse un peu ce qui se cache derrière tout ça… Pour nombre de décideurs (et pour l'opinion publique, au fait ? ), le problème de la vache folle se règle par l'abattage des bêtes et l'embargo. Qu'advient-il des causes, des farines animales et des modes de production ? Les hormones dans les viandes, l'exposition des aliments à des sources radioactives (le cobalt 60) pour éliminer ou stabiliser les bactéries, les poulets nourris aux antibiotiques et nettoyés à l'eau de javel sous la lumière permanente des batteries ? Il s'agit de savoir si nous voulons manger comme cela et si nous acceptons que cette façon de produire s'impose partout. Quels sont les pouvoirs qui restent encore entre les mains des Etats pour décider des choix de sociétés et des orientations politiques ? Sommes-nous satisfaits de la façon dont nous sommes informés ? Quels sont les droits et libertés qui subsistent pour les citoyens ? Quelle place pour une autre manière de voir, de penser et de vivre ?

OGM, la (pré-)histoire…

La découverte de l'ADN remonte seulement à 1953 et on ne connaît actuellement que 3 % de sa fonction… La 1ère plante transgénique (un OGM est un organisme vivant dans lequel on a introduit le gêne d'un autre organisme) est un tabac résistant à un antibiotique qui a été crée en 1983. La 1ère commercialisation d'un OGM date de 1994. Entre 1986 et 1992, 57 % de la recherche en biotechnologie agricole a porté sur la résistance des OGM à l'herbicide. Ces recherches visent en partie à pallier un des effets pervers du productivisme, à savoir la résistance aux pesticides d'un nombre croissant de parasites d'origine animale ou végétale (en 1938, 7 parasites résistaient aux pesticides ; ils étaient 137 en 1960 et … 900 en 1997 ! ).
Pour fabriquer des OGM, il est nécessaire d'avoir recours à un vecteur. Ce vecteur, souvent d'origine virale, sert à transporter le gène à insérer (par exemple, un gène de résistance à un herbicide) dans l'organisme hôte. Il transporte aussi inévitablement un gène marqueur, ( la réussite du vecteur n'étant pas certaine) souvent un gène de résistance à un antibiotique. C'est ce gène marqueur qui va servir à identifier les plantes modifiées (même si à ce stade, ce n'est encore qu'une cellule),. Ainsi, on mélange cellules végétales et vecteurs pour que le transfert s'opère. De cette opération, résultera les OGM recherchés plus d'autres cellules inintéressantes. C'est là qu'interviennent les antibiotiques : ils vont servir à éliminer le surplus des OGM recherchés, seuls ces derniers résisteront à l'antibiotique utilisé.

Quelles conséquences pour l'homme ?

Par la suite, ces OGM seront cultivés dans des champs ( parce que sinon, à quoi ça sert la recherche, si c'est pas pour s'en servir à grande échelle… ?). Premier danger, ils risquent alors de transmettre leur résistance à l'antibiotique à d'autres organismes…les bactéries ! Le danger réside ainsi dans le fait que ces bactéries sont capables d'infecter l'homme. Dans ce cas, l'antibiotique prescrit par le médecin, s'il est le même que celui utilisé pour le marquage (ce dont se défendent les semenciers !) sera totalement inefficace pour guérir le malade... " Ce qui est probablement le plus inquiétant ce sont les virus modifiés et les gènes de virus d'insectes qui pourraient polluer les moissons…des re-combinaisons génétiques créeront alors de nouveaux virus très virulents. Le large usage d'un multi-virus du chou-fleur fait de ce gène un danger potentiel. Il est très semblable au virus de l'hépatite B ou à celui du HIV. Les virus modifiés pourraient causer des famines en détruisant des récoltes ou provoquer des maladies humaines ou animales d'une puissance phénoménale " (cf. : Dr J. Cummins, professeur émérite de Génétique à l'Université de Western Ontario, Red Pepper, 11/98).
Rappelons que la nature ne s'embarrasse pas des démarcations inventées par les hommes pour circonscrire un espace qu'ils se sont approprié. Deuxième danger, il s'avère que les champs d'OGM disséminent aussi leurs pollens génétiquement modifiés aux plantes environnantes…Si les pollutions chimiques du sol et du sous-sol, quelle que soit leur envergure restent plus ou moins circonscrites à la zone contaminée, les manipulations génétiques agissent quant à elles directement sur le vivant. Les phénomènes de mutations, les pathologies inédites, les bouleversements profonds et irréversibles sont encore imprévisibles par les biotechnologies du fait que les découvertes en la matière sont trop récentes pour qu'on en connaisse les effets à long terme. La propagation des poisons génétiques est donc beaucoup plus pernicieuse puisqu'elle suit la chaîne alimentaire et obéit aux lois de l'évolution, aux interactions naturelles et variables suivant le milieu touché. Mais ce n'est pas la première fois que la planète sert de terrain d'expérience lorsque de gros intérêts sont en jeu. Le nucléaire produit déjà des déchets intraitables et des matériaux inédits sur Terre (les transuraniens). La chimie classique ainsi que la recherche atomique ont généré de graves destructions de l'environnement dont l'homme subit les effets sur plusieurs générations.
Troisième danger, les allergies... en même temps que la diffusion des OGM dans le monde, se sont multipliées les allergies. Elles sembleraient même augmenter parallèlement à la commercialisation des OGM. Le soja, par exemple, principal produit génétiquement modifié, est présent sous différentes formes dans 20 à 30 000 produits alimentaires. Or, le plus souvent, un gène d'arachide est intégré au soja. Les personnes allergiques aux cacahuètes (l'arachide n'est qu'un exemple… ) sont donc susceptibles de développer des allergies à partir de produits de consommation courante pour lesquels la présence d'arachide n'est pas mentionnée. Si l'UE (l'Union Européenne) a effectivement demandé aux professionnels de l'alimentaire d'étiqueter les produits OGM, elle ne l'a préconisé que pour les produits entiers et non pour les produits transformés. Il est donc très facile aujourd'hui de savourer à son insu un repas aux OGM car cela n'apparaît pas forcément sur les étiquettes ( cf. : liste Greenpeace). En outre, pour information, chaque français consomme en moyenne par an 1,5 Kg de produits chimiques, colorants, résidus d'engrais et pesticides dans son alimentation (cf. : Pour une agriculture écologique, C. de Brie, Manière de Voir, Septembre-Octobre 1998). Est-ce là ce que nous voulons manger ? Avons-nous été convenablement informés pour choisir nos aliments en connaissance de cause ? A-t-on les moyens de se payer la nourriture que l'on choisit ?

Quelles conséquences pour la planète ?

L'appauvrissement de la biodiversité constitue l'un des aspects les plus préoccupants de la crise écologique mondiale. L'Homme, on le sait porte atteinte de plus en plus massivement à l'équilibre des écosystèmes où il vit et dont il dépend. Dans le monde tropical, des 34 000 espèces menacées - pourtant inscrites sur la liste rouge de l' UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) - par les industries alimentaires, pharmaceutiques et de traitement du bois, 5 espèces disparaissent par jour. Depuis 1945, 23 % des 8,7 milliards d'hectares de terres agricoles, pâturages et forêts de la planète ont été dégradés. Selon l'UICN, 10 % des fonds marins sont détruits et 30 % pourraient l'être au cours des 20 prochaines années. Elle affirme par ailleurs dans sa " liste rouge " de 1997 que 11 % des oiseaux, 20 % des reptiles, 25 % des amphibiens 25 % des mammifères et 34 % des poissons sont actuellement en danger à l'échelle mondiale (cf.: J-M.Lavieille, Biodiversité, Hachette, Paris, 1997). Le risque est de perturber de manière profonde et irrémédiable les acquis actuels en rendant inefficaces les produits salutaires, en polluant à jamais des substances rares ou essentielles. En prenant le risque de priver l'humanité d'inventions vitales, le génie génétique fait preuve d'une attitude aussi suicidaire qu'irresponsable. La biodiversité est le gigantesque panier où les industriels et les chercheurs puisent, s'arrogeant un pouvoir qui est celui de la nature, qui doit rester le patrimoine inaliénable de l'humanité (on connaît seulement environ 1,4 millions d'espèces (990 000 invertébrés, 45 000 vertébrés, 360 000 plantes et micro-organismes), alors qu'on estime le nombre total des espèces vivantes compris entre 5 et 50 millions ! On évalue entre trois cent et cinquante le nombre d'espèces végétales et animales qui s'éteignent chaque jour avant d'avoir été répertoriées…). En Indonésie, 1 500 variétés de riz ont disparu ces 15 dernières années. La FAO estime que les 3/4 de la diversité génétique des plantes cultivées ont été détruits, ainsi, le choix des plantes destinées à l'alimentation humaine est de plus en plus restreint : sur 10 000 à 50 000 plantes comestibles, seulement 150 à 200 sont utilisées à cette fin et 3 d'entre elles (blé, maïs, riz) satisfont 60 % des besoins de l'être humain en calories et protéines végétales (cf. : La nature en sursis, A.Zecchini, Le Monde Diplomatique du 10/98).

A propos des brevets…

En 1980, la Cour Suprême des Etats-Unis reconnut, pour la première fois, la validité d'un brevet protégeant une bactérie génétiquement modifiée. En 1987, le PTO (Patent and Trademark Office, équivalent américain de l'Institut National de la Propriété Industrielle en France) décréta que tous les organismes vivants multicellulaires, y compris les animaux étaient potentiellement brevetables. Un an plus tard, le même PTO accordait un brevet sur un mammifère (une souris contenant un gène humain la prédisposant au cancer). Depuis, d'autres animaux ont été brevetés. Comme le résument C.Aubertin et F.-D.Vivien, la généralisation du système des brevets - consacrés par les négociations finales de l'Accord Général sur les Tarifs Douaniers (en anglais GATT), devenu en 1995 Organisation Mondiale du Commerce (OMC) - fait que " ce qui peut être protégé n'est plus seulement l'organisme modifié ou le procédé qui a permis de l'obtenir, mais également l'information génétique qu'il contient et toutes les applications permises " (cf.: C.Aubertin et F.-D.Vivien : " Les Enjeux de la biodiversité ", Economica, Paris, 1998).

Il y en a maintenant déjà plus de 190 déposés sur des animaux génétiquement modifiés (poissons, vaches, souris, cochons…) ainsi que des centaines d'autres sur des variétés de graines et de plants, et même, jusqu'à des cellules et des gènes rares…de peuples indigènes ! On estime que dans les Pays en Voie de Développement sont concentrés 2/3 des espèces recensées dans le monde. Selon l' OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle), les particuliers et les firmes des pays industrialisés détenaient, au milieu des années 90 et tous domaines confondus, 95 % des brevets d'Afrique, pratiquement 85 % de ceux d'Amérique latine et 70 % de ceux d'Asie (cf.: OMPI, ensemble de données IP/STAT/1994/B, 11/96).
Marges de manœuvres et libertés diminuées voire anéanties par l'emprise boulimique de la technologie comme par la volonté d'hégémonie des firmes agrochimiques, mais surtout par la nature même du procédé qui brevette le vivant. Cela signifie que ces multinationales pourront prétendre posséder des espèces vivantes (plantes et animaux) à partir du moment où elles auront manipulé directement ou indirectement leur structure génétique (ADN). L'arbre de Neem, utilisé en Inde depuis des siècles pour ses propriétés antiseptiques et insecticides, se trouve maintenant être la " propriété " de la multinationale qui l'a " breveté " ! On peut imaginer devoir un jour payer des royalties à Zeneca pour notre cueillette de champignons… On imagine aussi les passe-droits et les trafics qui ne manqueront pas d'agrémenter le tableau ! Cette technologie neutralise d'autres façons de produire, de manger et de vivre et constitue ni plus ni moins que la vente aux enchères de la planète… " les lobbies de la pharmacie entendent imposer, à travers l'OMC, la suppression de toute exception aux droits des brevets. Dans le même temps, ils veulent obtenir un plus large accès - gratuit et sans contraintes - aux plantes des pays en développement, dont la connaissance génomique constitue l'une des clés des futurs médicaments. Autrement dit, ils entendent disposer à leur gré de la matière première et ériger des protections de plus en plus étanches sur les découvertes réalisées à partir de ces plantes, les rendant inaccessibles aux pays dont elles sont issues - lire à ce sujet, M-A . Hermitte, " Les aborigènes, les chasseurs de gènes…et le marché " et J-P. Maréchal, " Quand la biodiversité est assimilée à une marchandise ", Le Monde Diplomatique, respectivement de 02/92 et 07/99.[…] Or non seulement, les compagnies pharmaceutiques imposent leurs prix et sélectionnent les seuls marchés qui feront monter leurs cours en Bourse, mais elles combattent toute initiative prise en dehors d'elles. En Thaïlande, pour faire face à la méningite à cryptocoque, une maladie mortelle souvent liée au sida, il n'existait jusqu'au premier semestre 1998, qu'un seul médicament, le fluconazole, produit sur place par le laboratoire américain Pfizer sous le nom de Triflucan. Efficace mais hors de prix : 12 000 baths (aux alentours de 2 000 francs) la boîte de cinquante comprimés. Pour un malade en début de traitement, cela représentaient un coût mensuel de 15 000 baths, une fois et demie le salaire d'un cadre. Deux entreprises thaïlandaises réussirent finalement à commercialiser un produit équivalent au prix de 4 000 à 4 500 baths la boîte. Trop cher encore pour une grande partie de la population, mais nettement plus abordable que la Triflucan. Six mois plus tard, les ventes étaient interdites : alerté par Pfizer, le gouvernement des Etats-Unis avait menacé les autorités thaïlandaises de taxer leurs principales exportations (bois, bijoux, microprocesseurs…) si elles ne renonçaient pas à produire le fluconazole. " écrit M. Bulard (cf. : Le Monde Diplomatique, 01/ 2 000).

Où l'on reparle de Seattle…

Le développement des OGM n'est que la conséquence d'une logique productiviste qui veut s'imposer comme modèle unique, fondé sur l'ouverture des frontières, des prix bas et des soutiens directs. Les prix agricoles, déconnectés de leurs prix de revient réel, entraînent un véritable dumping économique. Au Nord (UE, Etats-Unis, Japon), des millions de paysans sont éliminés. " Aux Etats-Unis, la part des paysans américains dans la population est passée de 20 % dans les années 1950 à 1,9 % aujourd'hui. Il ne reste plus que 1,9 millions de fermes dont la plupart sont trop petites pour être économiquement rentables : la moitié rapporte moins de 10 000 dollars par an et 60 % ont une superficie inférieure à 72 hectares.[…] En revanche, 346 000 exploitations, qui sont de véritables entreprises, prospèrent et fournissent 87,4 % de la production agricole, en se taillant la part du lion dans les denrées d'exportation : céréales, viandes, fruits et légumes… ", constate P. de Beer dans un article intitulé : " En surproduction, l'agro-business américain a un besoin vital d'exporter ", publié dans Le Monde du 04/12/99 - l'auteur précise : " D'autant qu'avec la catastrophique baisse des cours des céréales, des oléagineux, du sucre et du coton, il faut vendre beaucoup plus pour gagner autant ". " L'avortement du Cycle du millénaire de L' OMC (Organisation Mondiale du Commerce) à Seattle n'a pas remis en cause l' " agenda incorporé " établi à l'issue du cycle de l'Uruguay de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) en 1994. C'est pourquoi, à Genève, au siège de l'OMC, les négociations ont discrètement repris à la fin février sur les deux thèmes de cet " agenda " : les services et l'agriculture. Autant la commission de Bruxelles, qui négocie au nom de l'UE, entend bien (en accord avec les Etats-Unis) obtenir du Sud des mesures de libéralisation supplémentaires dans le secteur des services, autant elle se trouve sur la défensive face aux très nombreux pays qui veulent en finir avec ses subventions agricoles explicites à l'exportation : 84 % du total en 1995 et 1996. [ les Etats-Unis, soutenus par le groupe de Cairns (Australie, Nouvelle-Zélande, Argentine, Brésil, Canada…) gros exportateurs de produits agricoles se définissant eux-mêmes comme loyaux, c'est-à-dire sans aide à l'exportation, s'opposent à l'UE sur le montant et les modalités de réduction des protections douanières. En effet, l'UE, qui n 'est pas à une incohérence près, défend dans le même temps les subventions aux exportations qui bénéficient directement aux grandes exploitations agricoles productivistes (polluantes, et dont les différentes affaires sur la mal-bouffe, de la vache-folle au poulet à la dioxine, ont - enfin ! - terni l'image auprès des consommateurs). D'une main on cherche à calmer l'opinion publique et de l'autre, on poursuit la logique capitaliste de l'agro-business soutenu en France par la FNSEA (Fédération Nationales des Syndicats d'Exploitants Agricoles) !]. Au cœur de ces contradictions : la volonté de l'Union de conquérir d'illusoires marchés extérieurs à coup de subventions, plutôt que de protéger son marché intérieur sur lequel s'est pourtant écoulée, en moyenne, 90 % de sa production de 1995 à 1998 (89,5 % pour les céréales, 90 % pour les produits laitiers et 92,1 % pour les viandes). La PAC (Politique Agricole Commune) a été mise ouvertement au service des grandes firmes agroalimentaires de l'UE qui n'ont que faire de solidarités " européennes ", leur unique objectif étant d'acheter leurs matières premières agricoles au plus bas prix possible, où que ce soit dans le monde, et cela en invoquant le prétendu intérêt des consommateurs. Les chiffres dévoilent cette imposture : de 1990 à 1998, les prix alimentaires ont augmenté de 11,1 % en France, alors que les prix agricoles à la production chutaient de 10,7 %. " peut-on lire sous la plume de J. Berthelot dans le Monde Diplomatique de 03/2 000.

Qu'est-ce que cette histoire d'arme alimentaire ?

Derrière les proclamations humanitaires habituellement lancées par les hérauts de l'ouverture économique - c'est sous couvert de résoudre les problèmes de famine et de sous-alimentation que sont menées ces recherches (le site Internet de Monsanto s'ouvre sur la trinité quasi religieuse : Food, Help, Hope - Nourriture, Aide, Espoir) se cache un altruisme tout relatif lorsqu'on sait que les firmes qui produisent les OGM fournissent des semences stériles ne donnant qu'une seule récolte et qu'il convient de recommander chaque année (c'est le fameux gène " Terminator " de chez Monsanto). Et gare aux contrevenants ! Aux frais du client (5 dollars sont prélevés tous les 23 Kg de graines ! ), ces firmes se sont dotées de milices et d'inspecteurs qui vérifient la conformité des cultures, distribuent des amendes et obtiennent dommages et intérêts… Le Round-Up Ready Soya est en effet protégé par de nombreux brevets et copyrights américains. Les cultivateurs doivent signer un agrément appelé Monsanto Round-Up Ready Gene Agreement qui les oblige à utiliser exclusivement les graines Round-Up et à ne pas en récupérer lors de la récolte. Cet engagement donne le droit à Monsanto, droit qui s'étend sur les héritiers et les représentants des fermiers, de fouiller les propriétés durant 3 années après l'acquisition de graines.

1/7 de la population mondiale (soit 800 000 000 de personnes !) est toujours en danger de famine. La surproduction des pays riches entraîne gaspillage et destruction des stocks, l'injuste répartition des denrées alimentaires est suscitée par les stratégies agricoles imposées aux pays pauvres. La Corée du Sud ou les Philippines, qui produisent suffisamment de riz pour nourrir leur population, sont contraintes par les règles de l'OMC d'importer un riz de piètre qualité. Celui-ci étant moins cher que la production locale, les nombreux petits paysans producteurs se trouvent déstabilisés, n'étant pas de taille à résister à leurs concurrents industriels, sont poussés vers les bidonvilles et s'en vont grossir le nombre des crève-la-faim. Ainsi, s'imposent des logiques de rentabilités financières, de pillage de ressources et de captation de rentes : monopoles, géopolitique de l'arme alimentaire, blocage du développement quand ce n'est pas une franche poussée vers le sous-développement… on oublie volontiers que la famine a des racines plus politiques qu'économiques ou culturelles (cf.: " Famine et malnutrition ont des racines plus politiques qu'économiques ou démographiques ", Le nouvel état du monde, 80 idées forces pour entrer dans le XXIème siècle, Paris, La Découverte, 1999).

Mais comment s'y prennent-ils… ?

Il suffit pour cela d'être représenté aux endroits où se passent les choses sérieuses, dans les instances internationales et auto-légitimées où se décident l'avenir de la planète en dehors de toute consultation des populations, c'est-à-dire, aux réunion du G7, à l'OMC, au FMI (Fond Monétaire International) et à la Banque Mondiale. Depuis 1989, l'UE a interdit l'utilisation des hormones de croissance dans l'alimentation animale, en raison des risques qu'elles comportent pour la santé humaine. Les Etats-Unis et le Canada ont obtenu de l'OMC en 1997 une condamnation pour cette " violation des règles du commerce mondial " qui portent sur 10 000 tonnes d'importations, sur un total de quelques 450 000 tonnes.

Sous la pression conjointe de la Banque Mondiale et du FMI, les pays de l'UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine) a totalement renoncé à protéger son agriculture, pour le plus grand bonheur de l'UE pour laquelle " il est essentiel de s'assurer que l'établissement des APER (Accords de Partenariat Economiques Régionaux) ne diminue pas la nécessité de supprimer progressivement les obstacles aux échanges vis-à-vis de l'ensemble des partenaires commerciaux ", (cf. : Commission Européenne, Synthèse des études d'impact de la proposition de l'UE de négocier des APER avec les sous-régions ACP (pays d'Afrique, des Caraïbes ou du Pacifique), 14/06/99. Conséquence de ce type d'accords, au plus fort de la famine éthiopienne en 1984, les meilleures récoltes du pays continuaient d'être exportées vers l'Angleterre…

En Amérique de Sud, " …la priorité des politiques agricoles latino-américaines, et en premier lieu celles du MERCOSUR (Argentine, Brésil, Paraguay, et Uruguay), devrait porter non pas sur les exportations et importations avec des pays tiers, mais sur la satisfaction des besoins alimentaires nationaux et régionaux : en 1999, ces besoins, pour les 20 % de Latino-Américains les plus pauvres n'étaient couverts qu'à 79 % et l'on prévoit que leur nombre s'accroîtra de 32 % en 2009, date à laquelle le taux de dépendance de l'Amérique latine en matière d'importations alimentaires s'élèverait à 47 %. Alors que le continent est parfaitement capable de se nourrir lui-même ! ", (cf. : J.Berthelot, op. cité). " Le Brésil qui est pourtant troisième exportateur mondial de céréale voit le quart de sa population souffrir de malnutrition ; soit elle n'a pas accès au sol pour cultiver, soit elle ne dispose pas de revenu pour accéder à l'alimentation ", déclare P-A. Deplaude, " La vocation exportatrice : un tissu de mensonges " dans le n° 139 de 03/2 000 de Campagnes Solidaires.
L'idée selon laquelle le marché favorise la sécurité alimentaire et l'approvisionnement de tou(te)s a fait son temps…sauf dans les institutions internationales comme l'OMC, qui la brandissent pour masquer les véritables prétentions des pays riches et derrière eux, des lobbies des entreprises transnationales.

La production artisanale, chronique d'une mort annoncée …?

Les patrons de l'agroalimentaire et leurs politiciens ne se contentent pas de nous empoisonner ; ils osent, en plus, venir nous parler de santé et d'hygiène et nous imposer la délirante conception qu'ils en ont, en faisant passer de nouvelles lois et réglementations contre ce qui reste de paysans et de production artisanales, au moment même où les derniers résultats catastrophiques de l'agriculture industrielle s'étalent dans nos assiettes.
Le scandale de la contamination des viandes par la dioxine, substance hautement cancérigène et présente à des doses considérables dans certains aliments du bétail, comme celui, encore d'actualité, de l'ESB (Encéphalopathie Spongiforme Bovine - dite de la " vache-folle ") révèle à nouveau le laxisme, sinon la complicité des services de l'Etat à l'égard des puissances financières, malgré les discours rassurants que prodiguent les gouvernements - (sur le contenu des farines et les méthodes des équarrisseurs, lire les extraits du rapport confidentiel de la Direction Nationales des Enquêtes et de la Répression des Fraudes (DNERF) publiés dans le Canard Enchaîné du 09/06/99). A l'époque où la " crise de la dioxine " défrayait la chronique, la Communauté Européenne publiait une directive relative aux manières de produire les aliments et aux locaux où ils sont produits. Elle prétend obliger les producteurs à suivre des " règles hygiéniques " précises et très contraignantes ; en fait, des règles propre au mode de travail de la grande production industrielle, aseptique dans la forme et immonde dans la substance, qui a produit la vache-folle, le poulet à la dioxine et autre listériose.

Il en résulte qu'en Italie, par exemple, 90 % des fromages et des charcuteries produits artisanalement par les bergers et paysans ou dans de petits ateliers, seront hors-la-loi et leur commerce interdit. Depuis le 18/06/99, sur la base de cette même réglementation, il faudrait aussi aller au marché avec un gant en plastique, parce qu'il est interdit de toucher les fruits et légumes à main nues " pour raison d'hygiène ". Par contre, les poulets élevés 18 par m2 et nourris de farines et de graisses recyclées et tués au bout de 45 jours, rachitiques et enflés, ceux-là sont assez bons pour nous : nous pourrons les manger en toute tranquillité, puisque les " règles hygiéniques " auront été respectées… Les fortes concentrations de poulets ou de cochons (nourris aux antibiotiques) seraient des milieux propices à la mutation et au renforcement du virus de la grippe ; leur proximité avec l'homme permettrait le transfert de la maladie. Ce " super hygiénisme " n'a bien sûr rien à voir avec la propreté et l'hygiène véritables. On sait que, dans le cas de la contamination par la listériose, c'est précisément l'alliance d'une hygiène draconienne et de l'usage intensif de multiples antimicrobiens avec la production massive et concentrationnaire d'aliments (ici, les fromages) qui ont sélectionné ces bactéries indestructibles et meurtrières ; exactement comme dans les hôpitaux de la médecine industrielle, colonisés de manière toujours plus incontrôlable et effrayante par des souches microbiennes multirésistantes. La production industrielle s'efforce ainsi de faire disparaître tout ce qui lui est étranger et qui par sa seule existence, résistait encore à l'appauvrissement général, pour ne nous laisser d'autre choix que ses ersatz empoisonnés et supprimer tout point de comparaison toujours si évidemment à son désavantage.

Et les produits Bio, dans tout ça… ?

Par une sinistre ironie, le développement du label " bio " va même participer à la disparition de la petite production paysanne traditionnelle. Les contraintes combinées du marché moderne, des règlements étatiques et de l'uniformisation des modes de vie, feront que tôt ou tard, il finira par devenir impossible de rester petit paysan, et de produire simplement de bons aliments à peu près sains, avec des méthodes artisanales, pour une clientèle de proximité. De 1992 à 1998, 1 000 000 d'actifs agricoles ont disparu en Europe, dont 300 000 en France (cf. : " Soumettre l'OMC aux droits fondamentaux de l'Homme ", Confédération Paysanne, 11/99). Il faudra donc soit s'industrialiser, soit devenir " biologique " pour permettre et justifier le maintient de la qualité ancienne… avec toutes les contraintes et les contrôles que cela implique, de même que, bien entendu, l'augmentation des prix et la transformation de la clientèle inéluctable - nous nous retiendrons d'évoquer ici l'industrialisation progressive de cette filière et l'assouplissement continuel des normes définissant le label, toutes choses inévitables dès que l'Etat et le marché s'en mêlent).

Le développement que connaîtra dorénavant l'agriculture labellisée " biologique " conviendra ainsi fort bien à nos dirigeants : ceux-ci n'avaient-ils pas proclamés en France il y a près de deux ans, leur ambition de voir la production " biologique " (quel terme stupide et dégoûtant !) représenter d'ici une dizaine d'années 10 % de l'agriculture nationale. Mais pas plus de 10 % d'aliments à peu près normaux ! Une production de luxe pour ceux qui pourront se la payer et un nouveau marché fort rentable ; à côté des 90 % de poisons restants produits par l'agrochimie qu'il ne pourra jamais être question de remettre en cause dans le cadre de cette société. Il faut bien nourrir les pauvres et faire tourner les usines (à ce propos, rappelons que plus de la moitié de la production pharmaceutique mondiale est utilisée dans l'élevage, sous forme de d'antibiotiques, de tranquillisants, etc…). Le sens de tout cela est toujours le même : supprimer toute différence, pour rendre tout identique et également insipide ; les aliments, ceux qui les produisent et ceux qui les mangent. La production automatisée de masse fait disparaître l'expérience, la sagesse et l'indépendance des hommes pour les réduire au rang de serviteurs des machines, nouveaux animaux domestiques de la technologie. Et cela est vrai pour tout ce qui nous entoure : les villes, par exemple, se dégradent et s'uniformisent exactement comme ce que nous avons dans nos assiettes et de la même façon que les campagnes qui les approvisionnent.

Pourquoi est-ce que ni ma télé, ni ma radio ne me parlent jamais de tout ça ?

Contre toutes ces évidences, et contre bien d'autres encore connues depuis plus longtemps (sur la qualité gustative de ces productions, par exemple), les médias ne cessent pourtant ces derniers temps de nous répéter que la nourriture que nous mangeons n'a jamais été d'aussi bonne qualité qu'aujourd'hui. En somme, les difficultés actuelles de l'industrie agroalimentaire hyper-réglementées sont la preuve de la piètre qualité de la production ancienne et artisanale, puisque comme on sait, à l'aube du XXIème siècle, il y a nécessairement progrès en toute chose. Et donc, si les aliments sont quelque peut empoisonnés, c'est nécessairement que cela était pire par le passé. Aussi, à n'en pas douter, nous mangerons bientôt, cent fois, mille fois mieux que nos ancêtres - ces barbares qui ont inventé la cuisine - lorsque, par la grâce des réglementations sanitaires, il n'y aura littéralement plus rien à manger que des substances vitaminées et de la mousse de protéines soigneusement préparée et mise en forme dans les laboratoires de l'agrochimie. Tous les risques sanitaires auront alors été radicalement supprimés, en même temps que toute santé et toute vie sur Terre qui ne soit pas sous perfusion industrielle et marchande, pour la plus grande satisfaction du rationalisme morbide des bureaucrates, des affairistes et de leurs serviteurs médiatiques.

La servilité de la science aux intérêts privés s'expliquent par l'origine des financements des recherches. Ce sont les grands groupes industriels dont les intérêts financiers sont placés dans les secteurs pharmaceutiques et de la santé qui orientent de plus en plus les laboratoires de recherches en finançant les projets susceptibles d'augmenter leurs bénéfices du fait que l'Etat se retire chaque année davantage de la recherche fondamentale (cf. Téléthon), cédant la place aux investisseurs privés. Ainsi, la recherche en biotechnologie agricole est contrôlée par quinze grandes firmes privées, dont treize sont américaines et deux seulement européennes.
Ne doutons pas de la qualité des sentiments qui les animent puisque leurs stratégies visent toutes à " fidéliser " leur clientèle en étant présents à tous les échelons et à tous les stades de la vie de l'individu, quitte à lui " inspirer " ses besoins - Brown et Williamson, une compagnie américaine de tabac, a reconnu fin 1997 avoir génétiquement manipulé des plants de tabac pour en doubler la teneur en nicotine, ce qui a pour effet d'en accroître la dépendance ; ceux-ci étaient secrètement fabriqués au Brésil et entraient dans la composition de cinq marques différentes (cf.: Silence, n° 236).
L'aveuglement qui caractérise l'information trouve son origine dans la normalisation exclusive au service de la production en série, dans un endoctrinement quasi autoritaire avec la complicité des médias (cf. spots publicitaires Framatome - il est frappant de constater à quel point on retrouve des similitudes avec la logique militaire !) à la solde de ces mêmes grands groupes (cf. : Les Nouveaux Chiens de Garde, S Halimi). D'ailleurs, s'il n'en était pas ainsi, les médias d'habitude si prompts à révéler les crimes les plus odieux ne manquerait pas de dénoncer l'organisation criminelle la plus meurtrière de tous les temps, celle qui tue 30 000 000 de personnes chaque année (plus que le nombres de victimes des deux guerres mondiales !), soit d'après la première calculette venue, 57 individus à la minute : le système capitaliste. L'insécurité n'est donc pas cantonnée dans les villes où la délinquance obtient des taux sinistrement record, mais est bien présente partout à la fois sur la planète… et ce n'est pas la police qui nous en délivrera, puisqu'elle est précisément payée pour protéger cette répartition inique des richesses.
Pour la plupart de nos informateurs, la stratégie du fait accompli s'articule avec les logiques du " on ne peut pas faire autrement " et du " c'est quand même ce qu'il y a de mieux… " (ce qui excuserait l'absence de débat !), sans oublier les condamnations et la mise au pas des réfractaires (cf . : l'affaire José BOVE ; signalons à ce sujet que le jugement rendu le 9 septembre 2 000 a choisi de criminaliser l'individu plutôt que l'organisation pour laquelle il était passé à l'action… C'est là une pratique qui tend à se généraliser dans l'unique objectif de dissuader toute forme de contestation collective).

Laisserons-nous l'histoire se terminer là ?

Tout se passe comme si on voulait nous faire croire que ces multinationales de l'agrochimie qui causent depuis des décennies des pollutions irrémédiables, qui détruisent ou menacent des écosystèmes entiers qui pillent et bafouent les Droits de l'Homme dès qu'ils contrarient leur chiffre d'affaires, qui produisent des millions de tonnes de produits chimiques et inventent les ingrédients de notre alimentation aussi bien que les armes des guerres bactériologiques, ces mêmes multinationales deviendraient les garantes de l'aide alimentaire et de l'espoir… Au regard de tout ce développement, faut-il encore hésiter pour comprendre quelles sont les motivations des multinationales ? Améliorations agricoles ou stratégies commerciales, développement ou productivisme, respect de l'environnement ou pollution, générosité ou profits, liberté ou asservissement, diversité ou uniformité… ? Que se cache-t-il en vérité sous ces belles paroles, si ce n'est la volonté de contrôler les marchés ? Il est pourtant urgent de tirer les conclusions de la situation sans issue où nous ont conduit la société industrielle et la domination de l'économie. Tirer ces conclusions et tenter de modeler sa vie en conséquence reste pourtant possible, quoiqu'en disent les si confortables " c'est comme ça et on n'y peut rien ". Il suffit pour cela d'un peu de courage, celui de choisir son camp et de dénoncer autour de soi le mensonge qui s'étale partout.

KAOCEN -juin 2001-




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